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La brève juridique n°8 - 21/06/2017

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Il n’est pas si courant de voir des clauses de la commande publique susciter un débat public aussi passionné…
Tel fut pourtant le cas à l’occasion de l’apparition des clauses dites « Molière » au sein des marchés publics, et des problématiques qui y ont été associées, notamment le travail détaché.
Toutefois, l’absence d’une ligne jurisprudentielle sur la question a plongé les acheteurs dans l’incertitude.
Le Gouvernement a donc décidé de se saisir de cette question, et a communiqué au cours du mois dernier au travers d’une instruction, puis d’un arrêté.
Réponse juridique à une question politique, ou l’inverse, nous vous laisserons juger !
Il n’est en revanche rien de plus objectif que les mathématiques, et s’agissant de la commande publique, les choses sont loin d’être idylliques…c’est en tout cas le constat dressé par la Caisse des dépôts et l’Assemblée des Communautés de France.

« Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit. »
Molière, Le Tartuffe, 1664

Divisé en deux parties, une instruction interministérielle du 27 avril expose d’abord la vision du Gouvernement quant à la légalité des clauses visant à limiter l’exercice du travail détaché, et de l’insertion de clauses dites « Molière ».
Et la position du Gouvernement sur les deux sujets est explicite dès le préambule du texte : « en règle générale, une telle pratique est illégale ».
En effet, les clauses visant à limiter le travail détaché sont regardées comme une mesure de discrimination indirecte dans l’accès à la commande publique.
Pour fonder son argumentaire, l’instruction s’appuie, d’une part, sur les textes européens autorisant le travail détaché et, d’autre part, sur la jurisprudence de la Cour de justice, qui analyse toute restriction en la matière comme une discrimination.
De même, l’instruction semble vouloir balayer l’argumentaire tiré de ce que le travail détaché favoriserait le travail illégal.
Le texte rappelle en effet qu’existe un « noyau dur » de droits mis en place par le code du travail afin de sécuriser le recours au travail détaché.
Il renvoie donc aux acheteurs la responsabilité de respecter, et de faire respecter, les textes législatifs et réglementaires mis en place afin de notamment lutter contre la concurrence sociale déloyale.
Enfin, l’instruction estime que le recours systématique aux clauses « Molière » révèle une violation du principe de non-discrimination, voire un détournement de pouvoir.
Pour ce faire, elle rappelle qu’aucune disposition du code du travail n’impose aux travailleurs détachés de parler français, alors qu’à l’inverse une obligation de traduction dans la langue officielle du travailleur détaché est obligatoire sur les grands chantiers du bâtiment.
L’instruction extrapole ensuite son raisonnement en estimant que le fait d’insérer systématiquement de telles clauses, notamment dans le but de favoriser des entreprises locales, serait révélateur d’un détournement de pouvoir.
A noter toutefois que l’instruction admet l’utilisation de cette clause à titre d’exception, lorsque cela s’avère justifié et proportionné à l’objet du contrat en cause, et nécessaire à son exécution.

« Il est bon de pacifier et d'adoucir toujours les choses. »
Molière, Le Sicilien, 1668

Aussi, afin d’apaiser le débat sur ces questions, le Gouvernement a décidé de compléter l’arsenal juridique relatif au travail détaché, par un décret du 5 mai 2017.
Les maitres d’ouvrages et donneurs d’ordre voient donc leurs obligations précisées lorsqu’ils ont recours à une prestation de service internationale, de même que les sanctions administratives en cas de fraude en cas de recours frauduleux à ces services.
S’agissant des obligations pesant sur le maitre d’ouvrage, il est notamment prévu l’obligation de porter à la connaissance des travailleurs détachés la durée du travail et le salaire minimum, ainsi que les « modalités selon lesquelles le salarié peut faire valoir ses droits ». Ces informations doivent être traduites dans « l’une des langues officielles parlées dans chacun des Etats d’appartenance des salariés détachés sur le chantier ».
Il est également imposé au maître d’ouvrage de réclamer une copie de la déclaration de détachement à tout sous-traitant « établi hors de France avant le début de chaque détachement d’un ou plusieurs salariés sur le territoire national ».
En cas de non-déclaration de détachement, le texte détermine les conditions selon lesquelles la suspension de la prestation de services pourra être mise en œuvre.
S’agissant des sanctions administratives en cas de fraude et de recours au travail détaché illégal, le décret précise les modalités selon lesquelles il pourra être prononcé la cessation d’activité.
En effet, le préfet pourra déterminer la durée de fermeture du chantier concerné, et ce, en fonction de « la gravité de l’infraction ou du manquement constaté et du nombre de salariés qui sont employés ».

« Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut, - Et, s'il a de l'argent, qu'il pourra ce qu'il veut. »
Molière, L’Etourdi, ou Les contretemps, 1655

Dans un tout autre registre, la Caisse des dépôts, en association avec l’assemblée des Communautés de France a dressé un baromètre de la commande publique sur la période 2012-2016.
Cette étude a été établie en se basant sur les montants publiés au sein des avis d’attribution et catégorisée selon quatre axes : destination de la dépense, nature des prestations (travaux, services, fournitures), catégorie de maîtrise d’ouvrage (Etat, Hôpitaux, CT etc.) et zone géographiques (territoires intercommunaux, régionaux).
Premier constat : la tendance est à la forte baisse.
Le volume financier de la commande publique est passé de 96 milliards d’euros en 2012, à 72 milliards en 2016, soit une diminution de près de 24 milliards d’euros.
Sur la seule période 2015-2016, ce volume a diminué de près de 6%, soit près de 4,5 milliards d’euros.
Les chiffres mettent également en évidence une baisse de près de 30% des appels d’offres lancés, dont le montant moyen est estimé à 300 000 euros.
Tous les types d’acheteurs publics sont concernés par cette tendance, et ce quelle que soit leur implantation sur le territoire national.
Ces chiffres s’expliquent notamment par la diminution de plus de 40% du volume financier des marchés de travaux, diminution qui représente à elle seule 80% de la baisse totale de la commande publique.
Ainsi, la physionomie de la commande publique a changé puisque ce sont désormais les marchés de services qui représentent la part prépondérante de la commande publique (42%), tout de même suivis de très près par les marchés de travaux (39%) qui perdent donc leur place de leader.
S’agissant de la physionomie des acheteurs, ils sont pour une très large majorité (70%) constitués des opérateurs locaux (CT, EPCI, EPL, bailleurs sociaux), suivis par l’Etat et les opérateurs publics (20%), puis par les acteurs de la santé (7%).
Enfin, le rapport met en avant que cinq grandes thématiques de la commande publique (bâtiment, logement-habitat, santé-social, scolaire, voirie-transport) concentrent plus de 70% de la commande publique en 2016.
A vocation statistique, le rapport ne suppute pas sur les facteurs ayant mené à ces diminutions, nous respecterons également ce parti pris.


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