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La brève juridique n°12 - 23/03/2018

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Un marché public, comme tout contrat, fait souvent l’objet de contestations relatives à sa validité ou son existence : que ce soit par des concurrents évincés cherchant à faire annuler le marché ou du fait de l’administration cherchant à éviter de régler tout ou partie du prix.
Mais que faire des prestations déjà exécutées quand le contrat est remis en cause ?
Le titulaire cherche alors indemnisation des prestations réalisées. Et si le litige concernant l’indemnisation ne peut pas se régler sur le champ contractuel, la jurisprudence est venue préciser qu’il est toujours possible d’agir sur le champ extracontractuel avec l’intervention de la notion d’origine civiliste d’enrichissement sans cause.
Un inventaire de la jurisprudence récente permet d’identifier les cas dans lesquels l’enrichissement sans cause peut intervenir.
- Il y a le cas de prestations réalisées malgré l’expiration du contrat.
- C’est également le cas lors de prestations exécutées malgré l’inexistence du contrat due à l’absence de rencontre des volontés.
- C’est enfin le cas de prestations exécutées dans le cadre d’un contrat par la suite annulé (avec l’exemple d’une faute de l’administration).

La poursuite d’exécution d’un marché à bons de commande expiré

Il est de notoriété publique que les marchés à bons de commande des pouvoirs adjudicateurs, devenus accords cadre à bons de commande, ne peuvent dépasser la durée de 4 ans

Que faire si l’exécution d’un contrat se poursuit malgré son expiration ?

En l’espèce les deux protagonistes de l’affaire sont liés par un marché de fourniture de gaz et de matériel médical. L’acheteur va demander à la société titulaire de poursuivre l’approvisionnement en fluides médicaux pendant quelques mois après la fin du marché, ce qu’elle va accepter avec malgré tout de nouvelles conditions tarifaires.
L’acheteur va contester ces nouvelles conditions et régler partiellement les factures émises par le titulaire faisant naître ce contentieux.

La CAA de Marseille va répondre à la question précitée en deux temps :

Elle explique que cette exécution ne peut pas être la poursuite de l’ancien marché déjà expiré en vertu des règles applicables aux marchés à bons de commande. Cette poursuite d’exécution du marché expiré ne constitue pas non plus un nouveau contrat, le centre hospitalier n’ayant pas accepté les nouvelles conditions tarifaires. L’absence de consentement sur le prix qui est un élément substantiel oblige le juge administratif à reconnaître l’absence de contrat.

Toutefois, avant que l’acheteur ne puisse se réjouir, la cour va décider que dans la mesure où la poursuite des prestations a été demandée par le centre hospitalier et que les prestations lui ont été utiles, le fournisseur est recevable à réclamer, au titre de l’enrichissement sans cause, le remboursement des dépenses qu’il a effectué pour les prestations.
Ainsi l’absence de contrat n’induit pas une absence de responsabilité, si la prestation hors contrat fut utile pour l’acheteur, le principe de l’enrichissement sans cause trouvera à s’appliquer.

CAA de Versailles, 8 février 2018, Centre hospitalier d’Arpajon, n°16VE01638

Indemnisation des prestations réalisées hors contrat

Connaissez-vous l'expression "ne pas faire les choses à moitié" ? Et bien douce ironie à cette expression qui en est déjà emprunt : le présent litige l'illustre, mais naît du fait que les choses ont été faites à moitié.

En effet, divers bons de commande ont été signés par le représentant d'un pouvoir adjudicateur pour diverses fournitures de bureau, d’entretien et de décoration. Seul problème, qui n'en n'est pas la moitié d'un : aucun contrat, ni mise en concurrence préalable.

Qui plus est…les prestations concernées portent sur un montant total de 485 000 € !

Car le fournisseur quant à lui, n'a pas fait les choses à moitié : 200 guirlandes à 90 000 € HT, 9 tampons "Marianne" à 1 845 €, de l'alcool à brûler à plus de 11 euros le litre, des sacs poubelle à près de 3 € l'unité…

Nous voilà donc face à une situation que l'on espère peu banale : des prestations commandées en dehors de tout contrat, livrées, utilisées, le tout à un prix exorbitant.

Les conséquences sont quant à elles prévisibles : l'acheteur refuse de s'acquitter des factures, et le fournisseur, lui, veut être payé des prestations exécutées. Alors que faire?

La Cour écarte d'emblée la piste contractuelle. En effet, l'acheteur s'est affranchi des règles de publicité et de mise en concurrence alors qu'eu égard aux montants, il y était contraint. Il a en outre privé l'assemblée délibérante d'exercer sa compétence dans le choix du titulaire.

La résolution de ce litige se trouve sur le terrain quasi-contractuel.

Le principe est simple : l'entrepreneur peut espérer être remboursé des dépenses qui ont été utiles à l'acheteur, en dehors de tout contrat. Le fournisseur peut également être indemnisé lorsque le contrat est écarté en raison d'une faute de l'administration.

Le mécanisme d'atténuation des responsabilités en raison des fautes respectivement commises reste toutefois de mise.

En l'espèce, il est constant que les fournitures ont été commandées par l'acheteur malgré leur prix, sans qu'il puisse être considéré que son consentement a été vicié.

En revanche, fait intéressant, la Cour considère que le fournisseur a commis une faute en acceptant de livrer des fournitures pour un montant dont elle ne pouvait ignorer qu'il franchissait le seuil de mise en concurrence.

Le juge opte donc pour une solution médiane : le fournisseur est remboursé à hauteur de la moitié des prestations exécutées, et indemnisé à hauteur de la moitié des bénéfices escomptés.

Pas de doute, la boucle est bouclée !

CAA Bordeaux, 16 février 2018, Sté PAPD, n° 17BX01882

Nullité du contrat : Et après ?

Il est parfois des sagas qui se perpétuent, tel est le cas en matière de nullité du contrat. Les juges du Conseil d’Etat continuent, décisions après décisions, d’élaborer leur jurisprudence sur "l’après prononciation" de la nullité du contrat.

Saison 1, Tout commence

La première saison débute en 2000, c’est alors l’arrêt société Citécable Est qui est l’occasion pour les juges du Conseil d’Etat de se positionner sur les suites à donner à la nullité d’un contrat. Ainsi, il résulte de cette décision que le cocontractant de l'administration fautive est fondé à réclamer le remboursement de ses dépenses utiles à la collectivité, à la réparation du dommage subi, et au paiement du bénéfice dont il a été privé. Le litige peut donc être poursuivi en appel sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle, dans le cadre de cette action indemnitaire, en invoquant une cause juridique nouvelle qui repose, sur l’enrichissement sans cause, ou bien sur la faute résultant de la passation du contrat.

Saison 2, Nouvelle Hypothèse

La deuxième saison s’initie quant à elle avec l’arrêt Société Immobilière du Port de Boulogne, qui dès 2015 reprend l’intrigue de la saison précédente à son compte dans l’hypothèse cette fois où le juge constate l’absence de contrat. Ainsi, en l’espèce, une convention d’occupation temporaire ne pouvait être tacite, et devait être conclue par écrit. Ces exigences n’étant pas remplies, les juges avaient donc constaté l’absence de contrat et la responsabilité de la personne publique pouvait être recherchée sur le terrain extracontractuel, y compris lorsque ces conclusions sont soulevées pour la première fois en appel.

Saison 3, Application étendue

A l'occasion de l'arrêt "Société Aéroport de Paris" du 19 juillet 2017, cette saison estivale propose d’étendre les jurisprudences précédentes à l’hypothèse où le juge du contrat est saisi par les parties, sur invitation du juge de l’exécution ayant prononcé l’annulation d’un acte détachable du contrat, en vue d’une résolution du contrat.

Ainsi, ces péripéties jurisprudentielles nous permettent d’affirmer qu’à la suite d’un litige concernant la validité d’un contrat, les partis ont la possibilité, y compris pour la première fois en appel, de poursuivre le litige sur un terrain extracontractuel.

Ils peuvent alors invoquer, soit un enrichissement sans cause, soit une faute résultant de la passation du contrat ayant entrainé sa nullité, l'absence de contrat tacite, ou encore l'annulation d'un acte détachable conduisant à sa résolution, bien que ces moyens ne soient pas d'ordres publics et reposent sur une cause juridique nouvelle.

CE, 19 juillet 2017, Sté Aéroport de Paris, n°401426


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